En présence du Mufti de la République… Dar Al-Ifta discute de « la fatwa et l’économie » dans son pavillon au Salon du Livre, avec la participation de Al-Habib ‘Ali Al-Jifri et du Dr. Fayad ‘Abdel Moneim.

Le pavillon de Dar Al-Ifta d’Égypte au Salon international du livre du Caire a accueilli, ce samedi, un colloque intitulé « La fatwa et l’économie », en présence de Son Éminence le Professeur Dr. Nazir Mohamed ‘Ayyad, Mufti de la République et président du Secrétariat général des institutions de fatwa dans le monde. Ont également pris part à cet événement Cheikh Al-Habib Ali Al-Jifri, président du conseil d’administration de la Fondation Tabah, ainsi que le Professeur Dr. Fayad Abdel Moneim, ancien ministre des Finances.
Son Éminence le Mufti de la République a exprimé ses sincères remerciements et sa profonde gratitude aux participants qui ont enrichi les débats et les axes abordés par leurs précieuses contributions et réflexions. Il a souligné l'importance du thème du colloque et de la discussion autour de la question de la fatwa et de l’économie dans un monde en perpétuelle évolution, marqué par des problématiques contemporaines complexes.
Il a également mis en avant les efforts de Dar Al-Ifta pour suivre les évolutions de notre époque, notamment en s’intéressant aux technologies modernes, au premier rang desquelles l’intelligence artificielle, devenue un enjeu central dans ce monde caractérisé par une diversité et une accélération technologique sans précédent. Il a insisté sur le fait que cette adaptation aux progrès technologiques permet d’en tirer le meilleur parti tout en veillant à en éviter les risques potentiels.
Son Éminence le Mufti a ajouté que Dar Al-Ifta d’Égypte a déjà commencé à investir dans les technologies de l’intelligence artificielle pour développer le système de fatwa au service de la communauté musulmane. Il a affirmé que des mesures concrètes ont été prises dans cette direction et que l’institution poursuivra ses efforts pour atteindre ses objectifs futurs.
Il a également souligné que des mécanismes ont été étudiés pour tirer parti de ces technologies tout en garantissant une prestation religieuse moderne et hautement fiable. Il a insisté sur la nécessité de maintenir un équilibre entre l’innovation technologique et les règles de la charia, afin de préserver les valeurs et les principes de l’islam.
De son côté, Cheikh Al-Habib Ali Al-Jifri a débuté son intervention en priant pour le peuple de Gaza et en saluant le rôle de l'Égypte dans la gestion de cette cause. Il a ensuite soulevé une question essentielle : est-il possible de concilier le développement économique et le respect des préceptes de la charia ? Il a affirmé que cela est réalisable lorsque la source de l’économie est en adéquation avec les valeurs islamiques et que la nation s’efforce de réduire sa dépendance aux autres dans les domaines de l’alimentation, de l’industrie et des technologies.
Il a également souligné que si nous ne parvenons pas à concilier développement économique et respect des préceptes de la charia, nous serons en tort. Il a évoqué un souvenir de jeunesse où il avait posé une question à Cheikh Al-Sha’rawi sur la manière dont la nation pouvait acquérir son indépendance décisionnelle. Ce dernier lui avait répondu : « Mon fils, lorsque notre nourriture proviendra de notre propre hache, alors nos paroles viendront de notre propre tête. »
Par ailleurs, Cheikh Al-Habib Ali Al-Jifri a mis en lumière les contradictions du monde actuel, qui malgré ses avancées scientifiques et technologiques, demeure perdu sur de nombreux aspects. Il s’est interrogé sur la capacité réelle de ce progrès à résoudre les problèmes fondamentaux tels que la faim, l’effusion de sang et les conflits économiques. Il a souligné que cette réalité nous interpelle et que nous faisons partie intégrante de ces crises.
Il a également appelé à dépasser les doutes et remises en question qui entourent les institutions de fatwa et religieuses, souvent alimentés par des personnes dénuées de savoir et de compréhension, mais animées par des idées personnelles. Il a rappelé un principe fondamental de la charia : le jugement évolue en fonction de la cause, son existence ou son absence déterminant son application.
Il a également salué le rôle de Son Éminence Cheikh Ali Gomaa dans l’examen approfondi de toutes les questions susceptibles de nécessiter une fatwa, précisant que la fatwa consiste à exposer le jugement de la loi islamique sans caractère contraignant. Il s’est interrogé sur la légitimité de restreindre le bénéfice de la fatwa à une catégorie spécifique de personnes ou, au contraire, de l’étendre à l’ensemble de la société afin d’assurer une complémentarité entre les individus et les institutions. Il a souligné que cette question dépasse les notions classiques du commerce, des entreprises et des transactions financières pour inclure les nouvelles problématiques contemporaines qui n’existaient pas auparavant.
Par ailleurs, Cheikh Al-Habib Ali Al-Jifri a insisté sur la nécessité pour la fatwa de traiter les problèmes engendrés par les crises économiques, rappelant que l’économie est une science humaine et sociale visant au bien-être des individus et à la satisfaction de leurs besoins.
Il a également souligné que depuis l’effondrement du capitalisme, aucun système n’a réellement permis d’atteindre le bien-être des sociétés. S’adressant aux entrepreneurs, il a mis l’accent sur l’importance de dépasser une simple obligation de paiement de la zakât, en envisageant des perspectives de développement plus vastes au service des pauvres et de la construction sociale.
Enfin, il a adressé un message aux personnes en situation de précarité, les exhortant au travail, à la patience et à la satisfaction de ce que l’on possède. Il a conclu en soulignant la nécessité de parler des pauvres plutôt que de simplement s’adresser à eux, afin de replacer leur condition au cœur des débats et des actions en faveur du développement.
Il a expliqué que l’une des problématiques auxquelles sont confrontés certains muftis – tout en soulignant son absence au sein de Dar al-Ifta al-Misriyyah – réside dans la faiblesse de la communication entre les acteurs de la fatwa et les préoccupations des individus. Il a souligné que le défi à venir consiste à former les spécialistes de la fatwa et à développer leur connaissance des évolutions contemporaines et des questions émergentes. Avec le temps, ce défi devient de plus en plus complexe, car la réalité évolue à un rythme rapide.
Al-Habib Ali al-Jifri a ensuite abordé la question de la prolifération de l’intelligence artificielle, précisant que son utilisation pourrait s’apparenter à des énigmes hermétiques si l’on ne suit pas ses avancées. En clôture du colloque, il a adressé un conseil aux participants, affirmant qu’une compréhension lucide de l’époque et la piété imposent de ne pas se hâter d’affirmer avec certitude ce que l’on ignore.
Il a suggéré d’accorder une attention particulière à l’intelligence artificielle dans le domaine de la fatwa, malgré les réserves qu’elle peut susciter, considérant qu’elle apportera une contribution significative en la matière.
Par ailleurs, il a formulé une recommandation à l’intention des étudiants étrangers, les exhortant à mettre à profit leurs acquis à leur retour dans leurs pays respectifs. Il a conclu son intervention en saluant Son Éminence le Grand Mufti, lequel a su attribuer le mérite à ceux qui l’ont précédé et s’inscrire dans la continuité des acquis des muftis antérieurs.
De son côté, le professeur Dr. Fayad Abdel-Monim, ancien ministre des Finances, a déclaré que la fatwa pourrait être un outil pour résoudre les problèmes économiques, expliquant que l'économie est un terme scientifique qui a évolué de sa signification linguistique vers une discipline visant à gérer les affaires de la nation en exploitant au mieux les ressources pour répondre aux besoins essentiels et améliorer l'efficacité de l'économie à l'avenir. L'économie est devenue une science majeure, particulièrement appréciée par l'Occident, qui a dominé la civilisation industrielle, reconnaissant cette discipline à travers le prix Nobel.
Il a ajouté que l'Islam, lorsqu'on l'examine à travers sa source première, le Coran, met l'accent sur l'établissement de la foi correcte, organise l'adoration pour purifier l'âme, et s'intéresse à l'organisation de la vie sociale de manière globale, y compris la famille, la politique, l'économie et le droit. En effet, la religion régit la vie humaine et accorde une attention particulière à l'aspect économique. Le Prophète (paix et bénédictions sur lui) s'est également préoccupé de cet aspect, cherchant à résoudre les problèmes économiques dès son arrivée à Médine. Il a fondé la mosquée, mis en place le système de la fraternité entre les émigrés et les ansars, et créé des institutions telles que la Maison des Zakat, le système des waqfs et la Maison des affaires de la nation – distincte de la Maison des Zakat – pour garantir les droits des pauvres.
Il a poursuivi en déclarant que l'ijtihad juridique et les objectifs de la charia, tels que la préservation de la richesse, ont contribué au développement de solutions économiques. Les juristes ont ainsi introduit le concept des "obligations de suffisance" (fourod al-kifaya). Il a ajouté que la vie économique humaine suit un parcours naturel, à savoir la production. Étant donné que nous vivons à l’ère de la quatrième révolution industrielle, les processus de production, d'investissement et financiers ont radicalement évolué, soulignant l'importance de la fatwa pour déterminer la légitimité des questions économiques, en se basant d'abord sur la compréhension de la réalité, puis sur une analyse scientifique. Il a également évoqué ce qu'il a appelé la "phase de la filtration juridique", qui se concentre sur les transactions, suivie par la "politique juridique", qui guide les responsables à atteindre les objectifs de Dieu dans le domaine économique.
Concernant l’économie numérique, le Dr. Fayad Abdel-Monim a expliqué que la révolution numérique a créé une transformation dans les méthodes de production et de collaboration numérique, entraînant un changement dans les cercles de production, de consommation et de distribution. Il a souligné que l’économie numérique en est encore à ses débuts, mais qu'elle conduira à une société sans monnaie fiduciaire, où la richesse sera transférée de manière non conventionnelle. Cependant, cette transition pourrait entraîner certains déséquilibres, ce qui nécessite l'intervention du juriste pour équilibrer les objectifs et les inconvénients. C'est ici que la fatwa joue un rôle de guide pour les politiques monétaires et financières, afin de garantir leur conformité avec la charia islamique, qui ne restreint pas les individus, mais vise à créer une société vertueuse préservant l'économie.
L'ancien ministre des Finances, Dr. Fayad Abdel-Monim, a souligné que l'économie numérique nécessite la gestion des affaires en utilisant des outils immatériels, ce qui entraînera la disparition de certains emplois traditionnels. Cela nécessite que l'État égyptien accorde une attention particulière au développement des compétences cognitives et scientifiques des individus afin de suivre ces transformations.
Il a confirmé que la transition vers l'économie numérique n'a pas commencé récemment, mais remonte à plusieurs décennies, et a connu une expansion considérable grâce aux avancées technologiques. Il a également mentionné que ces progrès scientifiques ont contribué à la création de vastes fortunes au cours du siècle dernier, en précisant que cette technologie permet de gagner du temps et de l'énergie, tout en augmentant la productivité.
Il a ajouté que le phénomène économique est complexe et multidimensionnel, et que les hypothèses économiques reposent souvent sur un capitalisme matériel qui manque de principes éthiques et conduit à des monopoles injustes. Il a aussi souligné que les crises économiques et les guerres sont souvent le résultat de conflits liés aux ressources économiques.
Enfin, le Dr. Fayad Abdel-Monim a conseillé qu'aucun conseil ou fatwa sur les questions économiques ne devrait être pris en dehors du cadre des spécialistes, étant donné la complexité de ce phénomène et sa nature dynamique et interdisciplinaire. Il a insisté sur la nécessité de bien comprendre le phénomène économique et d’éviter de s'engager dans des activités économiques sans une connaissance suffisante.