Droits de propriété intellectuelle ...

Dar al-Iftaa d'Égypte

Droits de propriété intellectuelle et des marques commerciales d'origine

Question

La Charia se distingue par des principes et des devoirs qu’Allah a établis pour faciliter et ordonner la vie des hommes. Il est bien connu que l'Islam est intransigeant au sujet de la préservation et du respect des droits des gens. Le Coran ainsi que la Sunna interdisent le vol, condamnent son auteur et lui infligent des sanctions répressives.      

A cet effet, voler le droit d'auteur ou se l’approprier ou pasticher les marques originales du commerce ne sont pas moins grave que le vol traditionnel ; car un tel crime nuit aux intérêts des propriétaires et leur fait échapper toute chance de développement et de progrès. En plus, ce crime ne fait que porter atteinte à la réputation des propriétaires et duper le consommateur.   

- Quel est l'avis religieux relatif :

- Au vol des droits d’auteur et des marques originales.

- A l’ouverture des magasins pour vendre aux consommateurs des produits pastiches en les faisant passer pour des originaux.  - Au travail dans ce genre de magasins. 

- A la conclusion des transactions avec les voleurs de marques commerciales. 

- Aux peines qui devraient être infligées au voleur des marques originales du commerce.

Réponse

En Islam, la préservation de la propriété est l'un des cinq objectifs principaux de la Charia (à savoir la préservation de la vie, de l'honneur, de la raison, des biens et de la foi). La propriété intellectuelle, littéraire et artistique, les brevets d'invention et la propriété des noms, des marques et des permis commerciaux figurent parmi les droits reconnus par la Charia et par les us et coutumes. Ces droits sont considérés comme des biens _ selon l’avis de la majorité des savants qui stipulent que le profit fait partie des biens _ ou des profits ayant le statut de biens puisqu'ils font l'objet d'un contrat eu égard à l'intérêt général (selon l'opinion des prédécesseurs de l'école hanéfite). Au demeurant, la majorité des jurisconsultes entend par le bien tout ce qui a une valeur auprès des gens en vue du potentiel profit à en tirer et du dédommagement à subir en cas de dégats ou autres. Les savants tardifs de l'école hanéfite ont également donné leur approbation à cette définition.    

Selon Ibn Manzhour dans lissan al-'Arab, le bien, dans son sens propre, c’est « tout ce qu'on possède. ». Cette définition englobe les biens en nature, les intérêts ainsi que les droits. Dans son commentaire Rad al-Mohtar, Ibn 'Abdine dit :     

« Le bien, c’est tout ce qui a une utilité et peut être épargné. Son caractère distinctif réside dans la possibilité d'avoir une valeur auprès de tous ou de certains gens. Quant à sa valeur, elle dépend juridiquement du profit qu'on peut en tirer. »    

Le jurisconsulte malékite 'Abdel-Wahab al-Baghdadi dit :     

« Le bien, c’est tout ce qui a une valeur et pourrait être dédommagé. »    

Le malékite Ibn 'Arabi dit :     

« Le bien, c’est tout ce qu’on possède par désir d'en faire usage légitime religieusement et coutumièrement. »    

Dans son ouvrage Qawa'ed al-Ahkam, l'imam al-‘Ez Ibn Abdel-Salam dit :    

« Le profit, c’est le pivot de tous les biens. »   

Dans son ouvrage al-Mouwafaqat, ach-Chatebey dit :    

« Le bien, c’est tout ce qu'on possède légitimement pour s’en disposer. »    

De son côté, le jurisconsulte chaféite az-Zarkachi donne cette définition :     

« Le bien, c’est tout ce qui est utile effectivement ou potentiellement. »    

Dans son commentaire d’al-Menhaj de l'imam an-Nawawi, l'imam chaféite al-Jalal al-Mahally dit :      

« L’utilité est la deuxième condition que doit remplir l'objet vendu. Alors, tout ce qui est inutile ne peut être considéré comme un bien et ne doit pas non plus être échangé contre un autre bien. »    

Commentant la définition donnée aux biens et aux intérêts l’imam as-Seyouti dans son ouvrage al-Achbah wa an-Nazaër dit :     

« Quant aux biens, l'imam ach-Chaféï les a définis ainsi : « Le bien, c’est tout ce qui a une valeur _ ne serait-ce que minime tel un sou _ justifiant sa vente, et dont la perte est à dédommager1. »    

Cette définition est empruntée à l'imam ach-Chaféï dans son ouvrage al-Om où il dit :    

« Le mot arabeعَلق 'alaq, est un nom donné à tout ce qu'on possède quel que soit sa quantité ou sa qualité fût-ce un sou. Ainsi le mot bien ou 'alaq ne désigne que ce qui a une valeur justifiant sa vente et son dédommagement. »    

L'auteur d'al-Iqna’ الإقناع le jurisconsulte hanbalite Charaf ed-Din al-Maqdessi dit :     

« Le bien, c’est tout ce qui utile en soi en dehors d'un besoin ou d'une nécessité. »    

Dans son ouvrage intitulé Charh Montaha al-Eradat, l'érudit hanbalite al-Bahwati dit :    

« Le bien, c’est tout ce dont le profit est absolument permis, c'est-à-dire dans toutes les circonstances ou bien tout ce dont la possession est permise sans en éprouver aucun besoin. »    

Dans son ouvrage intitulé al-Melkeyah الملكية, le Cheikh 'Ali al-Khafif dit :    

« Parmi les jurisconsultes, il y a ceux qui précisent que la possession est l'une des caractéristiques des biens que les gens possèdent et dont ils font l'objet de transaction en cas de nécessité, ce qui les pousse à se les approprier et parfois à les monopoliser. On n’exige pas que le bien soit une matière à épargner pour le besoin, mais il suffit que sa possession soit à la portée en cas de besoin, ce qui correspond également aux profits s’ils sont traditionnellement considérés comme biens. »    

La production intellectuelle et les marques commerciales sont traditionnellement reconnues en tant que profits effectifs, aptes à être possédées, accessibles à être valorisées et échangées et à faire l'objet de transaction et de dédommagement. Grâce aux moyens de publication et à l'évolution du temps, il est devenu religieusement et juridiquement possible d'avoir recours à la justice en cas d’abus de ces droits. Raison pour laquelle, on donne à ces droits le même statut que le bien dont la possession est exclusive à son propriétaire et interdite aux autres sauf par permission.    

De même, la Charia, qui incite à attribuer les dires et les efforts intellectuels à leurs auteurs, interdit au Musulman de plagier ou s'approprier ou attribuer faussement à quelqu'un une parole, un effort ou une production appartenant à un autre. Elle qualifie cet acte de mensonge attirant sur son auteur une punition considérable.    

En vérité, l'Islam respecte le principe d'antériorité. D'après Asmar Ibn Modarres :    

« Je suis venu auprès du Prophète ﷺ pour lui prêter serment d'allégeance (…).Il m'a dit : « Quiconque précède un autre à s’approprier une chose, en sera plus méritant2 . »    

Sans doute, les propriétaires de ces marques commerciales ont déployé beaucoup d'efforts et dépensé beaucoup d'argent pour les posséder. Alors, y porter atteinte, c’est dévorer injustement les biens des gens en faisant perdre leurs efforts. Allah dit :     

« O croyants ! Ne dévorez pas les biens des autres illégalement. Mais qu'il y ait du négoce entre vous par consentement mutuel3. »     

« Ne dévorez pas mutuellement et illicitement vos biens, et ne vous en servez pas pour corrompre des juges pour vous permettre de dévorer une partie des biens des gens, injustement et sciemment4. »    

Dans son exégèse de ce verset, l'imam al-Qortobi dit :     

« Le discours coranique dans ce verset s’adresse à l'ensemble de la communauté musulmane. Le verset recommande explicitement aux fidèles de ne pas s’approprier illégalement les biens des autres. En outre, il leur enjoint implicitement de ne pas se livrer aux jeux de hasard, à la tricherie, à l’usurpation ou au déni des droits, à la possession de tout ce qui est pris contre gré ou tout ce qui est donné de bon gré mais la Charia l'interdit comme le prix de vente du corps de la prostituée, la rétribution accordée à un devin et le prix du vin et du porc. »    

S'approprier injustement ces marques, c'est faire passer le plagia pour une marque originale et le voleur de ces marques pour un propriétaire légal. A cet égard, le Prophète ﷺ dit :     

« Quiconque s'attribue une chose qui n'est pas la sienne est semblable à quelqu’un qui se serait vêtu avec des mensonges (métaphore signifiant qu’il est tel un grand mythomane)5. »    

En plus, cet acte représente une forme de traîtrise et de tromperie.      

Le Prophète ﷺ dit également :     

« N'est pas des nôtres celui qui triche6. »     

Ces droits appartiennent à leurs propriétaires et prennent le même statut que la propriété réelle. C’est pourquoi, leur propriétaire peut exclusivement en profiter par voies légales et les échanger contre de l'argent. Il est donc interdit à quiconque d’en tirer profit sans l’autorisation de son possesseur, d’y porter atteinte et d’en abuser en les imitant.    

Les décisions des Académies de Jurisprudence Islamique sont allées en effet dans le même sens. On en cite la décision noº 43 (5/5) prise par l’Assemblée de la Jurisprudence islamique (Organisation de la Conférence Islamique) lors de la 5ième conférence tenue au Kuwait de 1 à 6 Jomada al-Oula, 1409. Celle-ci décision stipule :     

« Premièrement : le nom, l'adresse et la marque commerciaux, les droits d'auteur et les brevets d'invention constituent des droits appartenant exclusivement à leurs propriétaires. A notre époque, ils ont une valeur effective auprès des gens. D’ailleurs, ces droits sont reconnus par la Charia et il n'est donc pas permis d’en abuser.  

Deuxièmement : puisque ces formes de droits sont considérées comme un bien de valeurs, il est permis d’en vendre le nom, l’adresse et la marque commerciaux en contrepartie de l'argent à condition d'éviter toute forme d'aléa et de tricherie.

Troisièmement : les droits d'auteur et les brevets d'invention sont protégés par la Charia qui interdit toute tentative d’y porter atteinte. Leurs propriétaires ont la pleine faculté de s’en disposer. Allah Seul le sait par excellence. »    

De ce qui précède, usurper les droits de la propriété intellectuelle et pasticher les marques commerciales de sorte que le voleur fasse croire aux gens qu'il possède ces marques originales est un acte interdit par la Charia. Cet acte est mensonge et tromperie qui font perdre aux propriétaires leurs droits.    

La Charia ne permet pas, en outre, à une personne d'avoir un magasin destiné à vendre des objets de fausse marque en les faisant passer pour des vrais.    

De même, quiconque contribue à cette escroquerie commet un acte interdit conformément à ce verset :    

« Entraidez-vous dans l'accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression7. »    

Par conséquent, il n'est pas permis aux gens d’acheter de telles fausses marques ; car le Musulman est ordonné de réprouver le mal autant que possible. L'achat des objets de fausse marque va à l'encontre de cet ordre et encourage les voleurs des marques à s’approprier illégalement les biens des gens. Le Prophète ﷺ dit :    

« Soutiens ton frère qu'il soit injuste ou opprimé ! ». Un homme demanda : « Je le soutiens quand il est opprimé mais comment le soutenir quand il est injuste ! » - Le Prophète ﷺ répondit : « En l'empêchant de commettre cette injustice8. »     Concernant les peines qui doivent être imposées aux voleurs des marques originelles, elles font partie de celles imposées à titre de dédommagement des biens. Elles varient selon le préjudice et les avis des experts. Le juge en précise le montant de l'indemnité. Le gouverneur peut prévoir également des peines correctionnelles pour empêcher de commettre de tels actes qui entraînent des préjudices individuels et publics.    

- 1- Chapitre : Sommaire portant sur le bien ayant une valeur.  2- Selon al-Hafez Ibn Hajar dans son ouvrage al-Içaba, ce Hadith qui est bon a été rapporté par Abou-Daoud et autres. 3- Coran, an-Nissa. 29.  4- Coran, al-Baqara. 188. 5- Cité par al-Boukhari et Musleim d’après Asmaa, fille d’Abu Bakr.  6- Cité par Musleim d’après Abu Horayra.  7- Coran, al-Maédah. 2.  8- Cité par al-Boukhari d’après Anas Ibn Malek.

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