Mentionner un péché lors de la demande d’une fatwa
Question
Dans quelle mesure le fait de mentionner un péché lors de la demande d’une fatwa est-il considéré comme une forme de divulgation publique (jahr) de ce péché ?
Réponse
Son éminence Prof. Dr. Nazir Muhammad ‘Ayyad
Le fait de tomber dans le péché est possible pour l’ensemble des fils d’Adam, à l’exception de ceux qu’Allah, Exalté soit-Il, a préservés de toute faute. Quant aux autres, ils restent exposés à commettre des péchés, qu’ils soient rares ou nombreux. La persistance dans les fautes et l’absence de repentir sont blâmables du point de vue de la Sharî‘a, entraînant de graves conséquences et des effets néfastes ici-bas comme dans l’au-delà. Il incombe donc à celui qui y est tombé de se repentir immédiatement, avec regret et ferme résolution de ne pas y retourner. À ce sujet, Anas (qu’Allah soit satisfait de lui) rapporte que le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui et sur sa Famille) a dit : “Tout fils d’Adam est pécheur, et les meilleurs des pécheurs sont ceux qui se repentent.” » (Rapporté par Ahmad, al-Tirmidhî et Ibn Mâjah)
Parmi les facteurs qui aggravent la gravité du péché figure le fait de le commettre ouvertement. Cela consiste soit à accomplir la désobéissance de manière publique, soit à la commettre en secret, puis, après qu’Allah – exalté soit-Il – l’a dissimulée, à en parler ensuite, comme si l’on méprisait la protection divine. À ce sujet, Abû Hurayra (qu’Allah soit satisfait de lui) rapporte avoir entendu le Messager d’Allah (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui et sur sa Famille) dire : “Tous les membres de ma communauté seront pardonnés, à l’exception de ceux qui divulguent leurs péchés. Or, parmi les formes de divulgation, il y a le fait qu’un homme commette une action pendant la nuit, qu’Allah ait voilé sa faute, puis qu’au matin il dise : ‘Ô Untel, hier soir j’ai fait ceci et cela’, alors qu’il a passé la nuit sous le voile protecteur de son Seigneur, et qu’il se lève au matin en levant lui-même le voile d’Allah qui était sur lui.” » (Hadith rapporté par al-Bukhârî et Muslim).
Ce hadith indique que l’une des significations de la “mujâhara” (la divulgation) consiste à annoncer ses péchés et à en informer autrui sans nécessité ni besoin légitime.
L’imam al-Nawawî explique dans son Commentaire du Sahîh Muslim (18/119, éd. Dâr Ihyâ’ al-Turâth al-‘Arabî) : « [Sont visés par l’expression : “à l’exception de ceux qui divulguent”] : ceux qui rendent leurs péchés publics, qui les manifestent et dévoilent ce qu’Allah – Très-Haut – a dissimulé pour eux, en en parlant sans nécessité ni besoin. »
Parmi les cas de nécessité ou de besoin figure la demande de fatwa : lorsqu’une personne est confrontée à une situation donnée, il lui est recommandé de demander un avis juridique afin de connaître la position de la Sharî‘a. Cela implique parfois d’informer le mufti de l’acte précis commis, de manière détaillée, car « le jugement porté sur une chose découle de sa compréhension ». Ainsi, expliquer au mufti l’infraction commise n’est pas blâmable lorsqu’il s’agit d’une demande d’avis et d’éclaircissement religieux ; cela devient blâmable uniquement lorsqu’il s’agit de divulguer le péché par ostentation, provocation ou moquerie.
La preuve en est ce qui est rapporté au sujet du bédouin qui informa le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui et sur sa Famille) de l’infraction qu’il avait commise en ayant eu des rapports avec son épouse durant la journée de Ramadan. Le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui et sur sa Famille) ne le réprimanda pas pour avoir mentionné cet acte.
Abû Hurayra (qu’Allah soit satisfait de lui) rapporte : “Un homme vint trouver le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) et lui dit : ‘Ô Messager d’Allah, je suis perdu !’ Le Prophète lui demanda : ‘Qu’est-ce qui t’a perdu ?’
Il répondit : ‘J’ai eu des rapports avec mon épouse durant (la journée de) Ramadan.’
Le Prophète lui dit alors : ‘As-tu de quoi affranchir un esclave ?’
L’homme répondit : ‘Non.’
Il dit : ‘Peux-tu jeûner deux mois consécutifs ?’
L’homme répondit : ‘Non.’
Il dit : ‘As-tu de quoi nourrir soixante pauvres ?’
L’homme répondit : ‘Non.’
L’homme s’assit alors. Puis on apporta au Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) un récipient contenant des dattes. Le Prophète lui dit : ‘Prends ceci et donne-le en aumône.’ L’homme répondit : ‘Il n’y a pas entre ses deux lâbatayn (les deux limites rocheuses de Médine) de foyer plus nécessiteux que le mien.’
Le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) se mit alors à rire et dit : ‘Va et donne-les à manger à ta famille.’” (Hadith rapporté par Muslim).
Le terme lâbatayhâ désigne les deux extrémités rocheuses (noires) délimitant la ville.
Ce hadith montre que toute divulgation d’un péché faite dans le but de connaître le jugement (hukm) qui s’y applique, de savoir comment s’en acquitter, d’espérer une invocation bénéfique, d’identifier la cause qui y conduit afin de l’éviter, ou encore pour tout autre objectif reconnu par la Sharî‘a, n’est pas blâmable pour celui qui la fait. »
L’érudit al-Murtadâ al-Zabîdî rapporte, d’après l’Imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî, dans Ithâf al-Sâdah al-Muttaqîn (6/272, éd. Mu’assasat al-Târîkh al-‘Arabî), la parole suivante :
“Ce qui est blâmable, c’est de dévoiler [le péché] dans un esprit d’ostentation et de moquerie, et non dans le cadre d’une demande d’avis ou de consultation juridique. La preuve en est le récit de l’artisan mentionné précédemment dans le Kitâb al-Sawm : il informa le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) de son état, et celui-ci ne le réprouva pas.” »
L’Imâm al-Nawawî déclare quant à lui, dans Al-Adhkâr (p. 368, éd. Dâr al-Fikr) :
« Chapitre : Il est déconseillé à une personne, lorsqu’elle a été éprouvée par un péché ou quelque chose de semblable, d’en informer autrui. Il convient plutôt qu’elle se repente à Allah Très-Haut : qu’elle cesse immédiatement [le péché], qu’elle regrette ce qu’elle a commis et qu’elle résolve de ne plus y retourner. Ces trois conditions constituent les piliers du repentir, lequel n’est valide qu’en les réunissant. Toutefois, si elle informe de sa faute son maître spirituel, ou quelqu’un d’analogue, dans l’espoir qu’il lui enseigne la voie pour s’en défaire, ou qu’il lui indique ce qui la prémunira contre une rechute, ou encore qu’il lui fasse connaître la cause qui l’y a conduite, ou qu’il invoque [Allah] en sa faveur, ou pour tout autre motif de ce type, alors cela ne pose aucun problème ; bien plus, c’est une bonne chose. »