Circuit autour des tombes

Dar al-Iftaa d'Égypte

Circuit autour des tombes

Question

Chez nous au Kuwait, le journal ar-Ra'y a publié le 20 mars 2006 une interview avec un cheikh éminent qui était un jour doyen de la Faculté de Chari'a, Université de Kuwait. Dans sa réponse à une question sur le polythéisme, il a dit :
    « Le circuit autour des tombes n'est pas une institution religieuse chez tous les savants musulmans y compris les soufis. Néanmoins, leurs avis divergent sur la qualification ; s'agit-il d'un acte interdit ou blâmable ? Ce n'était qu'un si peu nombre parmi les soi-disant savants qui ont jugé cet acte de polythéisme. » 

    Suite à cette déclaration, une polémique s'est engagée dans de différents articles écrits par certains professeurs de Chari'a dénonçant les propos de ce savant éminent, portant atteinte à sa dignité et le traitant de propagateur du paganisme. Eu égard à la place prestigieuse que vous occupez dans nos cœurs et à vos propos dignes d'estime, nous vous implorons d'indiquer l'avis religieux relatif à cette question, puisse-t-il mettre fin à cette polémique rageuse.

Réponse

    Pour répondre à une telle question, trois fondements doivent être pris en considération :

    Premièrement : tout acte accompli par le Musulman doit, en principe, être interprété d'une manière qui ne contredit pas le monothéisme. Il n'est pas permis d'accuser un croyant d'incroyance ou de polythéisme ; car la soumission aux principes de l'Islam est une preuve solide qui nous empêche d'interpréter ses actes comme démonstration d'impiété. C'est une règle générale que tous les Musulmans doivent appliquer à tous les actes accomplis par les fidèles. A cet effet, Malek, l'Imam de Médine, dit :
    « Quiconque accomplit un acte susceptible d’être interprété comme démonstration d'impiété selon 99 points de vue et comme une démonstration de foi selon un seul point de vue, son acte doit être, dans ce cas, interprété comme une démonstration de foi. »

    En voici deux exemples ; l'un est théorique et l'autre est pratique :
    Le Musulman croit que Jésus ne ressuscite les morts qu'avec la permission d'Allah. Jésus n'est pas donc capable de le faire lui-même mais grâce à Allah. Par contre, le Chrétien croit que Jésus ressuscite les morts par un pouvoir propre et qu'il est lui-même Dieu, Fils de Dieu et l'une des hypostases selon le dogme chrétien. A entendre un Musulman et un Chrétien dire : « Je crois que Jésus ressuscite les morts. », il ne faut pas croire que le Musulman en proférant ces mots s'est converti au christianisme, mais on doit plutôt les interpréter selon la croyance musulmane.

    De même, le Musulman croit que les actes de culte doivent être uniquement voués à Allah. Par contre, le Polythéiste croit que ces actes peuvent être voués à un autre qu'Allah. Si la façon d'agir d'un Musulman envers un autre qu'Allah laisse entendre qu'il lui rend culte, cet acte doit être interprété conformément à la foi musulmane ; car le doute ou la simple probabilité n'ébranle pas la foi solide du Musulman. Ayant vu Moaz Ibn Jabal se prosterner devant lui, le Messager d'Allah lui a interdit cette pratique sans pour autant le qualifier ni d'infidèle, ni de mécréant. Moaz – le plus savant en matière du licite et de l'illicite – n'ignorait pas à priori que la prosternation est un acte de culte et que tout acte de culte ne peut être voué qu'à Allah. Etant donné que la prosternation peut avoir une signification autre que l'adoration, on ne peut en aucun cas interpréter cette attitude comme un acte d'adoration et taxer par la suite son auteur d'incroyance. A cet effet, al-Hafez az-Zahaby dit : 
    « Ne vois-tu que les Compagnons, par excès d'amour pour le Prophète, lui dire : Permettez-nous se prosterner devant toi ? Non, répondit le Prophète. Si le Prophète leur avais permis la prosternation, ils se seraient prosternés à titre de vénération et de respect et non pas à titre d'adoration, tout comme le firent les frères Josef devant lui. De même, la prosternation ou la prière accomplie devant la tombe du Prophète Mohammad à titre de vénération n'entache pas la foi de son auteur mais plutôt le taxe de désobéissance et par conséquent il faut lui interdire une telle pratique.1 »

    En effet, déroger à cette règle de base est l'attitude des Kharijites et la raison profonde de leur égarement. A leur propos, 'Omar Ibn Al-Khattab dit :
    " Ils se sont servis des versets comportant des lois relatives aux infidèles pour les appliquer sur les fidèles.2 "

    Deuxièmement : il y a une grande différence entre le moyen de se rapprocher d'Allah et le polythéisme. En effet, le premier fait l'objet d'un ordre divin :

    « Ô vous qui croyez ! Craignez Dieu et efforcez-vous de trouver le moyen de vous rapprocher de Lui ! Déployez vos efforts pour Sa cause, ainsi vous réussirez !3 »

    De même, Allah a comblé de louange ceux qui invoquent Allah en cherchant le moyen de se rapprocher de Lui :

    « Or, ceux qu’ils invoquent recherchent eux-mêmes à l’envi le moyen de se rapprocher le plus de leur Seigneur, espérant Sa miséricorde et redoutant Son châtiment.4 »

    Dans la langue arabe, le mot Wassila وسيلة désigne le haut rang, le lien et le rapprochement. Dans son sens exhaustif, ce mot veut dire tout rapprochement d'Allah par tout ce qu'Il a rendu permis y compris la glorification de tout ce qu'Allah a glorifié (lieux, temps, personnes et circonstances). Pour le lieu, le Musulman se dirige, pendant la prière, vers la Mosquée Sacrée et invoque Allah auprès de la tombe du Prophète Mohammad. Pour le temps, le Musulman tient à passer la nuit du Destin en prière et à invoquer Allah pendant l'Heure Bénie du Vendredi ou pendant le dernier tiers de la nuit. Pour les personnes, le Musulman sollicite le moyen de se rapprocher d'Allah par l'amour des Prophètes, des vertueux et des pieux. Enfin pour les circonstances, le Musulman s'attache à l'invocation pendant le voyage ou lors de la tombée de la pluie, et ainsi de suite. Tout cela est, en effet, bien inclus dans ce verset coranique :

    « Ainsi en est-il. Se montrer respectueux des rites institués par Allah est un acte qui s’inspire de la piété du cœur.5 »

    Quant au polythéisme, il s'agit de vouer à un autre un culte exclusivement voué à Allah, même si cette pratique était à titre de rapprochement d'Allah. A cet égard, Allah dit :
    « Quant à ceux qui ont adopté en dehors de Lui d’autres divinités, en disant : « Nous ne les adorons que pour qu’elles nous rapprochent davantage de Lui.6 " »

    Nous avons dit : « culte exclusivement voué à Allah. » pour exclure tout ce qui y ressemble par le nom et en diffère par le contenu. L'invocation, par exemple, peut être faite à titre d'adoration comme dans le verset suivant :

    « Mais, au fond, qu’invoquent-ils en dehors de Allah, sinon des symboles féminins.7 »

    En revanche, l'invocation peut avoir un sens tout à fait différent comme l'indique ce verset :
  
    « N’interpellez pas le Prophète comme vous vous interpellez entre vous !8 »

    La sollicitation peut également être sous forme d'imploration adressée à Allah à titre d'adoration comme l'illustre bien ce verset :

    « Demandez à Allah plutôt de vous accorder un peu de Sa grâce. 9»

    Ou autrement comme l'indique le verset suivant :

    « (…) à celui qui demande (mendiant) et au pauvre démuni.10 »

    La demande du secours peut également être un acte d'adoration comme le dit clairement ce verset :

    « C’est Toi que nous adorons ! C’est Toi dont nous implorons le secours !11 »

    Ou autrement comme l'indique le verset suivant :

    « Cherchez du réconfort dans la patience et la prière!12 »

    De même, l'amour peut être une adoration vouée à Allah ou non, comme le démontre le Hadith suivant :

    « Aimez Allah pour les faveurs dont vous êtes comblées ! Et aimez-moi pour votre amour pour Lui ; et aimez les miens pour l'amour que vous éprouvez pour moi !13 » 

    Le polythéisme réside, alors, dans la glorification rendue à un autre à degré égale à celle rendue à Allah. A cet égard, le Seigneur dit :

    « N’attribuez donc pas d’associés à Allah ; vous savez parfaitement qu’il n’en existe point !14»

    Il dit également :
 

    « Il est des hommes qui prennent en dehors d'Allah des associés qu’ils se mettent à aimer à l’égal d'Allah Lui-même ! Mais ce sont les croyants qui vouent à Allah le plus grand amour.15 »

    De tout ce qui précède, éclate remarquablement la différence entre le fait de solliciter le moyen pour se rapprocher d'Allah (al-Wassila) et le polythéisme dans la mesure où l'on entend par al-Wassila le fait de glorifier Allah en glorifiant ce qu'Il glorifie comme l'illustre bien ce verset :

    « Ainsi en est-il. Se montrer respectueux des rites institués par Allah est un acte qui s’inspire de la piété du cœur.16 »

    Contrairement au polythéisme où on glorifie avec Allah ou en dehors d'Allah un autre que Lui.

    C'est pourquoi, la prosternation des Anges devant Adam a été considérée comme un acte pieux alors qu'en revanche celle des polythéistes devant les idoles est considérée comme un acte polythéiste bien qu'il s'agisse d'une prosternation devant une créature dans les deux cas. En effet, la prosternation devant Adam a eu par obéissance à l'ordre divin de glorifier ce qu'Allah a glorifié ; ce qui fait de cette attitude un moyen de se rapprocher du Seigneur et avoir par la suite une récompense alors que la prosternation des Polythéistes devant les idoles s'est faite à titre de glorification semblable à celle consacrée à Allah, et donc, son auteur sera infligé d'un châtiment bien considérable.

    Eu égard à cette différence entre le moyen de se rapprocher d'Allah et le polythéisme, un groupe de savants ont jugé permis le fait de jurer par tout ce qui est vénéré en Islam tel que le Prophète, la religion musulmane ou la Ka'ba. Dans l'une de ses deux versions, l'imam Ahmad a permis de jurer par le Prophète en tant qu’un de deux composants intrinsèques de l'Attestation de Foi. En vérité, jurer par le Prophète n'implique aucune ressemblance au Seigneur. L'honneur rendu au Prophète n'est qu'une glorification rendue au Seigneur qui l'a honoré. Les partisans de cette opinion ont interprété les Hadiths interdisant le jurement par un autre qu'Allah, par le jurement impliquant une ressemblance à Allah. Pourtant, la majorité des savants, appuyée sur le caractère général de l'ordre interdisant le jurement par un autre qu'Allah, interdit de jurer par un autre qu'Allah.

    Ibn al-Monzir explique les raisons de la prépondérance de l'opinion qui permet de juger par ce qui a un caractère sacré :
    « Les savants ont divergé sur l’ordre de ne pas jurer par un autre qu'Allah. Un groupe d'eux a dit : « Ceci concerne les serments prêtés par les Polythéistes à titre d’exaltation comme le jurement par al-Lat, al-Uzza et les ancêtres. Celui qui prête un tel serment commet un péché inexpiable. D'ailleurs, il n'est pas interdit de jurer par ce qui conduit à l'exaltation d'Allah et au moyen de se rapprocher davantage de Lui, comme le fait de dire : « Je jure par le mérite du Prophète, par l'Islam, par le pèlerinage, par le petit pèlerinage, par l'offrande, par l'aumône, par l'affranchissement d'un esclave, etc. »

    Cette opinion est exprimée par Abou 'Obayd et par d'autres qui l'ont rencontré. Ils se sont appuyés sur l'attitude des Compagnons qui, bien que conscients de l'interdiction déjà citée, engageaient celui qui prête un tel serment d'affranchir un esclave, ou d'offrir une offrande ou de faire une aumône. Ceci prouve que l’ordre de ne pas jurer par un autre qu’Allah n'est pas général ; car s’il l'était, ils n'auraient pas imposée une expiation à son auteur.17

    Si les savants divergent sur certaines formes du moyen de se rapprocher d'Allah telles que l'invocation d'Allah à travers celle des pieux ou l'invocation auprès de leurs tombes ou bien sur les moyens illégitimes de se rapprocher d'Allah tels que la prosternation ou le circuit autour de la tombe, il ne sera pas permis d'exagérer cette divergence ou cette erreur et aller jusqu'à accuser son auteur de polythéisme ; car, en agissant de la sorte, on ne fait que confondre la glorification d'Allah avec ce qu'Il a glorifié avec celle vouée à un autre pris comme égal à Allah. Allah dit :

    « Eh quoi ! Traiterons-Nous ceux qui sont soumis à la volonté de Dieu sur le même pied d’égalité que les criminels ?18 »

    Troisièmement : il y a une différence entre la cause et l'agent actif comme nous l'avons indiqué à propos de notre discours sur le premier principe. Le Musulman croit que Jésus n'était qu'une cause ou un instrument d'exécution dans la ressuscitation des morts alors que le Chrétien croit qu'il en était l'auteur. Si l'on voit un Musulman s'adresser à un autre qu'Allah pour solliciter un bien ou éviter un mal, on devra absolument interpréter cette manière de sollicitation par la recherche de la cause et non pas celle du pouvoir créateur ; car on sait bien que le Musulman croit que sans la volonté ou la permission d'Allah, nul ne pourra rien contre ou pour ; car c'est Allah uniquement qui a prédestiné le bien et le mal. Ensuite, la divergence ne porte que sur la question suivante : est-il vrai ou non que cet être-ci ou cet être-là en est la cause ?

    Une fois les trois principes susmentionnés sont établis, il sera de devoir de s'y référer en indiquant l'avis religieux relatif au circuit autour des tombes. Si l'on est d'accord qu'on parle des actes accomplis par des Musulmans, que ceux-ci visitent les mausolées et les tombes des pieux parce qu'ils croient à la piété de ceux qui y gisent et à leur faveur auprès d'Allah, que la visite de ces mausolées est un acte pieux servant de moyen de rapprochement à Allah, que la parole porte sur la licéité ou non de certains actes dont une partie fait l'objet de divergence entre les savants et l'autre partie est entachée d'erreur, il nous paraîtra évident qu'il n'y aura plus lieu de taxer, de loin ou de près, ces actes de polythéisme ou de mécréance. Car il s'agit tout simplement des actions dont la licéité fait l’objet de divergence entre les savants ou bien des actions entachées d'erreur sans juger impérativement mécréant celui dont la foi est solidement constatée dès le début.

    En passant en révision les avis religieux des savants sur la qualification religieuse du circuit autour des tombes, nous constatons qu'ils oscillent entre l'interdit et le désapprouvé. Ceci veut dit dire que certains savants jugent interdit le circuit autour des tombes en tant que moyen d'intercession, tandis que d'autres savants le jugent désapprouvé et son accomplissement n'implique aucun châtiment. En un mot, juger désapprouvé cet acte est l'avis le prédominant chez les Hanbalites selon le dire de l'érudit hanbalite al-Bahouti dans son Kachf al-Qina’. Quant à l'avis interdisant cet acte et sur lequel s'appuie la Fatwa, c'est bien celui de la majorité des savants.

    Qualifier l'auteur de tels actes de Polythéiste ou de Mécréant n'a aucun fondement, sauf si le fidèle voue une adoration au défunt pieux, croit qu'il puisse lui faire du bien ou du mal ou croit enfin que le circuit autour de la tombe est un acte de culte tout comme le circuit accompli autour de la Maison sacrée. Ce sont des suppositions que les savants ne prennent pas en considération en qualifiant l'acte accompli par le fidèle surtout lorsqu'elles portent sur le circuit autour de la tombe et non pas sur un autre.

    Par conséquent, il n'est pas permis aux Musulmans de s'occuper de telles questions tout en lançant injustement des accusations les uns contre les autres, car ceci finira par nous désunir, nous faire perdre nos efforts et nous éloigner de rebâtir nos sociétés et notre Communauté. Nous implorons Allah pour qu'Il guide tous les Musulmans vers la voie du Coran et de la Sunna et leur permette de saisir bien la visée des ordres divins adressés à Sa création. Amen.




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1- Mo'gam ach-Cheyoukh, p. 56.
2- Hadith cité par al-Boukhari dans son Sahih et jugé suspendu. Ibn Djarir at-Tabari dans son Tahzib al-Athar l'a jugé authentique.
3- Coran, al-Maédah, 35.
4- Coran, al-Israa', 57.
5- Coran, al-Haj, 32.
6- Coran, az-Zumar, 3.
7- Coran, an-Nissaa', 117.
8- Coran, an-Nour, 63.
9- Coran, an-Nissaa', 32.
10- Coran, al-Ma'arej, 25.
11- Coran, al-Fateha, 5.
12- Coran, al-Baqara, 45.
13- Cité par at-Termezi et jugé authentique par al-Hakem.
14- Coran, al-Baqara, 22.
15- Coran, al-Baqara, 165.
16- Coran, al-Haj, 32.
17- Al-Hafez Ibn Hajar, Fat'h al-Bari, vol. 11, p. 535.
18- Coran, al-Qalam, 35-36.

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