Les dispositions relatives aux « Di...

Dar al-Iftaa d'Égypte

Les dispositions relatives aux « Diyyât » (prix du sang) et aux dédommagements des accidents de la circulation

Question

Il est à noter qu’il y a quatre cas d’homicide involontaire relatif aux accidents de la circulation comme l’indique l’accidentologie :    

1) Cas de celui qui se jette volontairement devant une voiture dans l’intention de se suicider de sorte que le conducteur n'arrive pas à l’éviter.     

2) Cas de celui qui provoque, par sa propre faute, sa mort de façon à ce que le conducteur de voiture ne puisse pas l'éviter.     

3) Cas où la responsabilité du conducteur est complètement engagée dans le meurtre.     

4) Cas où la victime et le conducteur partagent la responsabilité.     

Nous vous prions de bien vouloir préciser, dans ces quatre cas, l’obligation de verser le prix du sang et à qui incombe cette obligation ? A qui s’impose le prix du sang au cas où le conducteur est religieusement responsable مكلف شرعاً ainsi qu’au cas où il ne l'est pas ? Quel est le taux légalement fixé pour la Diyyah دية ainsi que la manière de la collecter et de la verser aux ayants droits parmi les parents de la victime au cas d'un homicide involontaire ? Quel dédommagement impose la religion comme pénalité à celui qui endommage les plantes (palmiers, arbres, culture) ? Quelle est la peine à infliger, d’après la Charia, à celui qui endommage les biens d’autrui, qu'ils soient publics (poteaux d’électricité, équipements de routes…) ou privés et qu’en est-il de la faute commise par les deux parties ?     

Comment devrait-on agir, d’après la Charia, dans le cas de blessures subies par la propre faute de la victime alors qu’il s’avère impossible sur tous les plans, pour le conducteur, de l’éviter. Et à qui incombe le dédommagement des blessures si la responsabilité de deux parties est engagée dans l’accident ? A qui la Diyyah doit-elle être versée ? Peut-on l’échelonner ? La Diyyah de la femme est-elle égale à celle de l’homme ? Celle de l'adulte est-elle égale à celle du mineur ? Qu'en est-il de la Diyyah dans le cas où la victime est un non-musulman ou une personne avec qui on est lié par un pacte de protection ? Quelle est la Diyyah appliquée au cas de dommages causés aux animaux ?    

Quel est le rôle des compagnies d’assurance en la matière, à savoir l’assurance contre les risques causées par l’autrui (assurance obligatoire) et l’assurance facultative (assurance privée) ?

Réponse

Le premier cas _ à savoir tous les cas où la victime cherche intentionnellement à se suicider en se trouvant dans un endroit où il n’échappe pas à la mort et le conducteur s’avère incapable de l’éviter _ n’est pas qualifié de meurtre commis par erreur. Par conséquent, il n’est pas étonnant de voir le conducteur réclamer son droit à un dédommagement qui sera prélevée sur la succession laissée par le suicidé. Et ce, en raison de la panique et de la blessure morale causée par le comportement irresponsable de la victime. Le conducteur peut également demander une compensation pour les dommages matériels subis, tels que les dégâts causés à son véhicule ou à des biens publics ou privés.

Pour ce qui est du second cas, la victime est tout à fait fautive. Si, par exemple, une personne heurte l'arrière d'une voiture appartenant à une autre personne sans aucune négligence ni violation de la part de cette dernière, cela ne peut être considéré comme un meurtre involontaire. Dans ce cas, l'accident peut être le résultat de la faute des deux parties impliquées. Dans ce dernier cas, il faut étudier les circonstances de l’accident pour déterminer à quel point la responsabilité du conducteur est engagée dans cet homicide involontaire. En effet, il est inconvenable de donner à ce cas une qualification générale.    

Quant au troisième et quatrième cas, ils correspondent à des hypothèses d’homicide involontaire selon la qualification donnée par la Charia.    

La Diyyah est définie par la Charia comme étant la somme d’argent redevable en compensation de la perte d’une âme ou un des membres de l’homme. L’obligation de la Diyyah, est mentionnée dans le Coran :    

« Aucun croyant n’a le droit de tuer un autre croyant, si ce n’est par erreur. Si un tel acte se produit, le coupable devra affranchir un esclave croyant et verser à la famille de la victime le prix du sang, à moins que les ayants droit n’en fassent remise. Si la victime est un croyant qui appartient à un groupe hostile, le meurtrier affranchira seulement un esclave croyant ; mais si la victime appartient à un groupe auquel vous êtes liés par un pacte, la remise du prix du sang à la famille et l’affranchissement d’un esclave croyant seront exigés du meurtrier. Si ce dernier n’en a pas les moyens, il devra observer un jeûne de deux mois consécutifs, à titre d’expiation prescrite par Dieu, l’Omniscient, le Sage.1. »    

Le Coran n’a pas déterminé la valeur de la Diyyah. En effet, le verset se limite à mettre l’accent sur son caractère absolument obligatoire. De plus, il n’a pas précisé non plus si la Diyyah devrait être acquittée par le meurtrier lui-même ou plutôt par les parents de sa famille عاقلة. Ceci a été expressément abordé par la Sunna. En somme, les jurisconsultes musulmans s'accordent tous sur le caractère obligatoire de la Diyyah.    

Il a été rapporté par an-Nassâ’î d’après Abi Bakr Ibn Mohamad Ibn ‘Amr Ibn Hazm qui l'a tenu de son père, d’après son grand père, que le Prophète ﷺ a fait écrire aux habitants du Yémen, en leur disant :     

« Quiconque bat à mort intentionnellement un croyant, lui sera appliqué la loi du talion à moins que la famille de la victime ne lui accorde le pardon. La perte de l’âme est compensée par une Diyyah de 100 chameaux (……) l'homme peut être exécuté pour le meurtre d'une femme. La Diyyah à payer par les gens dont la fortune est en or est évaluée à 1000 dinars. »    

De même, Abû Dâwoûd et bien d’autres érudits rapportent, d’après ‘Ikremah d’après Ibn ‘Abbâs :     

« Un homme de la tribu de ‘Adiyy a été tué et le Prophète ﷺ lui a fixé une Diyyah d’une valeur de 12 000 dirhams. »    

Quant au prix du sang de la femme, il est estimé à la moitié de celui de l’homme comme il est juridiquement établi.    

En cas d'homicide involontaire et d'incapacité financière du meurtrier à payer la Diyyah, il est établi conformément aux Hadiths que ce sont les proches parents العاقلة du meurtrier qui doivent s'acquitter de cette obligation. Selon ces Hadiths, le Prophète ﷺ aurait chargé les proches parents de l'auteur d'un homicide par erreur de payer la Diyyah. D'ailleurs, les jurisconsultes musulmans sont unanimes quant à ce jugement, dans la mesure où si le meurtrier en assumerait seul la charge, ceci pourrait le dépouiller de tous ses biens surtout si l'erreur se répète. Toutefois, laisser le meurtrier sans amende sera considéré comme impuni le sang versé de la victime.    

Nous entendons par ‘aqila les parents, à commencer par les plus proches. Si ces derniers s'avèrent incapables de payer, on devra élargir le cercle des agnats selon leur degré de parenté. En cas d'incapacité de tous, la Diyyah sera à la charge du Trésor Public.    

En principe, la Diyyah peut être réglée en plusieurs échéances par les agnats sur une période de trois ans, comme cela a été établi par les jugements émis par ‘Umar et ‘Alî. Cependant, le Prophète ﷺ tenait à s’en acquitter d’un seul coup à titre de réconciliation et d’acquittement ou bien pour gagner les cœurs des gens à l’Islam. Mais quand l’Islam régnait en maître sur la Péninsule arabe, les Compagnons ont suivi l’exemple du Prophète2.     

Selon Ibn ‘Abd al-Barr, les anciens et les contemporains jurisconsultes sont tous d'accord pour dire que la Diyyah est à la charge des proches parents masculins majeurs et qu'elle peut être payée en plusieurs échéances sur une période de trois ans. Par ailleurs, les biographes musulmans sont quasiment unanimes pour dire que la Diyyah était, à l’époque préislamique, à la charge d'al-‘Aqilah (proches parents) et que ce système a été maintenu par le Prophète ﷺ. Les Arabes d’époque (les membres du même clan ou tribu) étaient solidaires les uns les autres. Ces pratiques furent maintenues également jusqu’à l’accession de ‘Omar au Califat qui a fondé le Diwan. Les jurisconsultes musulmans sont unanimes pour confirmer ces propos et adopter ces pratiques. Ils sont également d'accord sur le fait qu'à l'époque du Prophète ﷺ et celle d'Abu Bakr, il n'y avait pas de Diwan et que 'Omar a créé le Diwan et a classé les gens selon un ordre régional pour leur assigner le rôle de combattre les ennemis chacun de leur côté3.   

 Toutefois, dans la mesure où ce système s'avère difficile à appliquer de nos jours, nous estimons qu’il serait plus convenable de prendre en considération la valeur de la catégorie inférieure parmi les catégories précitées. Car, en principe, la responsabilité n'est pas engagée pour le surplus de la somme minimale exigée pour la Diyyah. Ceci est plus facilement réalisable en matière d’argent. Il s’ensuit que la Diyyah sera de 12000 dirhams. Le poids de dirham, d'après la majorité des jurisconsultes, pèse approximativement 2 grammes et 975. Le total sera donc 35, 700 grammes d’argent dont la valeur sera estimée selon les prix du marché à partir du jour où le droit a été établi à l'amiable ou suite à un jugement judiciaire. Par la suite, cette somme sera échelonnée sur une durée de 3 ans au moins, et payable par al-‘Aqilah à la place du meurtrier, si elle en a les moyens, sinon la Diyyah sera à la charge du meurtrier. En cas d'incapacité totale de sa part, il est alors permis de prélever cette valeur sur les biens d'autrui et même sur l’argent payé à titre de zakat.    

La réconciliation en matière de Diyyah par le biais du pardon ou de l'acceptation d'une valeur moindre, est légitime, conformément au texte coranique :    

« … et verser à la famille de la victime le prix du sang, à moins que les ayants droit n’en fassent remise4. »     

« Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allégement de la part de votre seigneur, et une miséricorde5. »     

Par ailleurs, la religion a accordé à la famille de la victime le droit de renoncer à la totalité de la Diyyah, ou juste à une partie dans le but d'alléger la charge du meurtrier qui se trouve en difficulté de s'en acquitter ou de la payer en une seule fois. En revanche, l'acceptation de la Diyyah, est autorisée d'un point de vue religieux, car il s'agit d'un droit appartenant à la famille de la victime qui décide seule de l’accepter ou d’y renoncer complètement ou partiellement.     

En ce qui concerne l’expiation citée par le verset suivant :    

« Celui qui n'en trouve pas les moyens, qu'il jeûne deux mois d'affilés6. »     

L’ensemble des jurisconsultes musulmans sont d'accord pour dire que le verset entend dire que celui qui ne peut affranchir un esclave, n'a qu'à jeûner deux mois consécutifs. Toutefois, le jeûne ne décharge pas de l'obligation de payer la Diyyah. Ad-Dahhâk précise que :     

« Le jeûne est une alternative pour celui qui ne trouve pas les moyens d'affranchir un esclave, tandis que la Diyyah est une obligation que rien ne peut annuler. Tel est l'avis de la majorité des jurisconsultes. »    

A cet égard, Masrûq et ach-Cha'bî estiment que le jeûne de deux moins compense à la fois la Diyyah et l'affranchissement d'un esclave pour celui qui n’en a pas les moyens 7.     

En effet, cette dernière thèse a été réfutée par at-Tabari et bien d'autres dans la mesure où l'acquittement de la Diyyah est à la charge d'al-’Aqilah et non à celle du meurtrier alors que l'expiation incombe à ce dernier seulement. Il serait alors inadmissible que l'expiation compense la Diyyah. Nous pensons que cet avis est concevable dans le cas où le meurtrier n'a ni de 'Aqila qui s'en charge, ni d’argent pour la payer lui-même et ni une personne qui lui vient en aide en lui offrant de la zakat, dans ce cas-là, le jeûne de deux mois compense à la fois la Diyyah et l'affranchissement. A cet égard, Allah dit :     

« Allah n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité8. »     

Par ailleurs, d'après les éminents maîtres hanafites, la Diyyah du non-musulman, qu'il soit homme ou femme, est bien égale à celle du Musulman sans aucune distinction entre citoyen et étranger entrant légitiment dans les pays.    

Etant donné que la Diyyah pour homicide involontaire est à la charge d’al-’Aqilah et non à celle du meurtrier, il serait évident, de ce point de vue, que l'âge du meurtrier, qu'il soit mineur (non responsable du point de vue religieuse) ou adulte, ne sera pas pris en compte ; car ce n’est pas lui qui payera la Diyyah mais plutôt ses proches parents consanguins qui s'en chargeront.    

Par ailleurs, quant à la somme payée par les compagnies d'assurances facultatives ou obligatoires, elle constitue une partie de la Diyyah obligatoirement à la charge d’al-’Aqilah et par conséquent elle sera soustraite du montant de la Diyyah qu'ils devront payer aux ayants droits de la famille de la victime.    

Cette Diyyah sera répartie entre les héritiers de la victime selon leurs parts légalement fixées en matière d'héritage.      Quant aux dégâts occasionnés aux propriétés privées ou publiques, ils seront inclus dans la catégorie de garantie des dégâts, qu'ils soient commis par un jeune mineur religieusement non responsable ou un adulte responsable. En cas de dommages causés par un groupe, il appartient à chaque fauteur et non à ses proches, de payer sa part de réparation en fonction de sa part de responsabilité dans les dommages causés. Sa part de responsabilité sera évaluée par des experts spécialistes et neutres.    

Pour les dommages causés aux animaux, il n'y a pas de Diyyah ; mais ils seront assimilés aux dégâts qui nécessitent une réparation dont les frais seront retranchés des biens de celui qui a occasionné ces pertes.    

Qualifier les accidents de circulation causant le décès d'homicides involontaires ne doit pas être uniquement vue sous cet angle. Les enquêtes, les témoignages et l'ensemble des circonstances dans lesquelles s'est produit l'accident pourraient démontrer le contraire. Il arrive parfois que le meurtrier guette sa victime pour la tuer ou la blesser d'une certaine manière. Si le premier cas (meurtre prémédité) constitue bel et bien un homicide volontaire par agression, le second cas (blessure) correspond en revanche à une tentative d’homicide volontaire ou quasi-volontaire selon le degré de blessures et la manière selon laquelle le délit a été commis.     

De même, l'homicide involontaire pourrait être accompagné par d'autres délits graves, en raison d'infractions flagrantes des règles de circulation, tel que l'excès de vitesse, la conduite dans un sens interdit, l'absence d'équipements nécessaires à la sécurité du véhicule, la conduite en état d'ivresse manifeste, l'engourdissement du corps suite à la consommation de stupéfiants, l'apprentissage de conduite sur les routes publiques, la conduite de voiture par un mineur et bien d'autres situations semblables. Dans des cas pareils, outre la Diyyah, la famille de la victime a droit à une indemnité matérielle appropriée à chaque cas. A cet égard, il appartient seulement au juge d'estimer séparément chaque cas et en fixer la valeur de l’indemnité, selon les critères, les circonstances de chaque cas et le degré de dommage subi par la famille de la victime ainsi que d'autres questions y sont relatives.     

- 1- Coran, an-Nissaa, 92.  2- Rapporté par Ibn al-‘Rabi.  3- Al-Qortobi : al-Jâme’ li Ahkâm al Qur’ân. 4- Coran, an-Nissa.92.  5- Coran, al-Baqara. 178. 6- Coran, an-Nissa. 92. 7- Cité par at-Tabari, d'après ach-Cha'bî, d'après Masrûq d'après une authentique chaîne de transmission.  8- Coran, al-Baqara. 286.

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